Derrière chaque grand succès se cache des hommes ou des femmes qui œuvrent dans le silence pour permettre à chacun d’entre nous d’être touchés par leurs réalisations. La première façon de nous séduire se fait souvent à travers un regard. C’est souvent à ce moment que l’on décèle les génies qui arrivent avec un œil nouveau et suscitent des sensations d’envie chez chacun d’entre nous grâce à des formes avant-gardistes. Ces personnes sont rares mais marquent chacune leurs générations et leurs domaines d’activités. Qu’il s’agisse de Jonathan Ive chez Apple, James Dyson fondateur de la marque éponyme, il existe une personne de cette stature qui a marqué la haute horlogerie à tout jamais et son nom est Gerald Genta.
La naissance d’une légende
Fruit de l’union d’une suissesse et d’un italien, Gérald Genta voit le jour le 1er Mai 1931 à Genève. Déjà l’âme d’un artiste, il se voit peintre mais optera finalement pour une formation d’orfèvrerie et de joaillerie pour laquelle il obtiendra son diplôme fédéral. Très vite, l’une des plus grandes manufactures horlogères, Universal Genève, découvre son talent. Le célèbre fabricant de chronographes voit la magie opérer en 1954, lorsqu’à 24 ans, Gérald Genta réalise le design de la SAS Polarouter. Cette montre va rapidement devenir l’un des plus grands succès de la marque grâce à son cadran minimaliste et au choix d’anses torsadées. Voulant devenir la montre officielle des pilotes et récompenser la prouesse du trajet Los Angeles Copenhague en passant par le Pôle Nord, la Polerouter est surtout le premier succès du designer horloger. La collaboration entre la manufacture Genevoise et le jeune designer va lui permettre de réaliser le design de la White Shadow ainsi que la Golden Shadow, des montres très recherchées du fait de leur grande finesse.
Le début du succès
Après les différents succès qu’il va rencontrer avec Universal Genève, le jeune horloger va se faire courtiser par des grands noms de l’horlogerie, et notamment Omega. En 1959, la manufacture fondée par Louis Brandt donne à Gerald Genta un grand défi : redonner un brin de fraîcheur à collection Constellation qui à l’époque était en concurrence avec la Datejust de chez Rolex. Ce chronomètre fut longtemps le modèle phare de chez Omega du fait de son esthétique qui le situait comme le parfait mélange entre élégance et sportivité. L’œil disruptif du jeune designer va permettre à Omega de devenir, pendant 10 ans, le numéro 1 en matière de vente de chronographes devant la marque à la couronne. Allant de succès en succès, il obtient rapidement le titre de « designer star » dans le domaine de l’horlogerie, comme peut l’être Philippe Starck dans son domaine.
En 1970, il réalise un nouveau coup de maître pour la manufacture située à Le Brassus : Audemars Piguet. La marque s’offre les services du designer horloger pour imaginer une montre sportive mais élégante. L’histoire raconte qu’il dessinera les courbes de la Royal Oak, et notamment sa lunette à huit vis en une nuit, en s’inspirant des anciens casques de plongée. De plus, alors que la marque rencontrait des difficultés financières, elle va faire confiance au flair de Gerald Genta en proposant la première montre de luxe en acier. Voulant séduire la population fortunée de l’Italie, cette montre mythique aux finitions brossées embarque le calibre 2121 de chez Jaeger-LeCoultre et devient le fer de lance de la marque suisse.
Les coups de maître du designer
À la suite de ces différentes collaborations, le talent du designer fait de l’œil à la famille Stern, à la tête de la manufacture Patek Philippe. Un premier partenariat est réalisé avec la Golden Ellipse en 1968, se matérialisant par une montre à la forme elliptique possédant un cadran bleu foncé profond, sublimé par des aiguilles et des index dorés. Cette phase de séduction réussie, Patek Philippe va alors de nouveau chercher à bénéficier du génie de Gerald Genta pour réaliser une montre sportive, marché sur lequel la manufacture n’est pas présente. En 1976, le génie opère de nouveau avec la légendaire Patek Philippe Nautilus. S’inspirant d’un hublot présent sur les casques de plongée, la montre dispose d’une lunette octogonale, dont les angles ont été adoucis afin de lui donner une touche sportive, le tout avec beaucoup d’élégance. Le mouvement est soigneusement choisi puisque c’est le calibre 28-255C qui équipera la pépite sportive de Patek Philippe. Pour l’anecdote, la montre sera fabriquée pendant 30 ans avant d’obtenir un nouveau souffle en 2006.
Les lauriers d’un succès n’étant pas véritablement suffisants pour Gérald Genta, il travaille en parallèle avec IWC pour réaliser une autre icône. Reprenant l’esthétique si fidèle à ce designer de génie, il réalise l’IWC Ingenieur avec sa lunette dotée de 5 vis. Intemporelle et moderne à la fois, cette montre était aussi amagnétique car le public visé était ici les professionnels travaillant non loin des champs magnétiques, rendant le choix du nom assez simple mais redoutablement efficace.
Un savoir-faire et une créativité sans limite
Au-delà des montres destinées au grand public, Gerald Genta a réalisé de nombreuses montres pour des personnalités telles que le Roi du Maroc, la Reine Mère du Royaume-Uni, le Roi d’Espagne, le Sultan d’Oman et la liste est encore longue. Il réalisa aussi des montres à grande complication, parmi lesquelles la Octo Grand Tourbillon pour Bulgari, sa plus grande réussite à nos yeux. Ce chef d’oeuvre possède 4 gongs et peut, sur demande, reproduire la mélodie du carillon de Westminster.
Après tant de collaborations, Gérald Genta se lancera dans les années 1980 avec l’alliée de sa vie, Evelyne, pour fonder la manufacture éponyme avec laquelle il obtiendra une licence exclusive Disney. Il réalisera à ce titre des montres en acier et en or 18 carats en insérant dans le cadran les icônes de Disney telles que Mickey Mouse, Donald Duck, Minnie… Cette épopée se terminera en 1999 par la cession de la société au groupe Bulgari, faisant lui même partie du conglomérat LVMH. Le designer reviendra pour notre plus grand bonheur en 2001 sous le nom de Gerald Charles avec quelques modèles et notamment la Maestro Tourbillon Carrée.
Le bilan de la vie d’une légende de l’horlogerie.
Après une vie de designer horloger couronnée de succès, Gérald Genta profitera du temps en s’adonnant à son autre passion, la peinture, avant de s’éteindre en août 2011 à l’âge de 80 ans. En 60 ans de carrière, l’homme aux 100 000 montres conçues aura véritablement marqué de son empreinte le monde de l’horlogerie. Ses choix audacieux voire disruptifs ont permis à des montres de légende de voir le jour tout en s’assurant toujours de la plus grande qualité des gardes-temps qu’il a réalisé. Il fut l’un des premiers hommes à vouloir créer des montres n’étant pas simplement des outils pour l’Homme mais véritablement des beaux objets capables de nous accompagner dans nos vies tout en remplissant leur fonction première : mesurer le temps.